Fire and Blood

Ces six derniers mois, dix personnes sont mortes, tuées par la police, pour « refus d’obtempérer ».

C’est aujourd’hui un fait avéré et non discutable que la police tue. Et la police tue de plus en plus. On ne va pas ici faire l’inventaire des travaux qui ont mis en évidence les processus de brutalisation du métier de policier en France. Certains ont porté sur l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre, d’autres ont montré la surreprésentation de personnes violentes dans les effectifs policiers, les mécanismes de couvertures mutuelles et d’impunité, le poids des discours racistes et déshumanisants, et d’autres éléments encore qui viennent nourrir les tendances meurtrières de la police. Ce qui frappe aujourd’hui, ce qui écœure, c’est que cette machine infernale est entretenue et encouragée par un ensemble de discours dont le caractère profondément inhumain devrait choquer tout le monde. Voilà qui pourrait amener à l’énoncé suivant : l’ensauvagement est bel et bien un fait de notre société. Mais voyons qui il touche réellement.

La pulsion d’ordre plus forte que la justice

Le fait est que dans l’environnement médiatique entretenu par les sociopathes des plateaux de CNews, BFM, et jusqu’à France Inter, tous les repères tombent les uns après les autres. Les individus isolés devant leurs écrans sont comme entraînés, à coup de reportages « au plus près des forces de l’ordre » ou d’articles sur « la montée du chaos », dans un genre de Gotham City où les rues « gangrenées » de délinquants devraient être « nettoyées ». La notion de justice devient incompréhensible pour ces affolés du tweet et du commentaire Facebook. L’individu appréhendé par la police est délinquant avant d’être jugé. Il est délinquant avant-même d’être individu. Et s’il est tué avant d’être jugé, c’est tant mieux. Après tout, la justice n’est-elle pas trop lente ? Le processus de déshumanisation est tel que le peu de compassion qui ressort de ces réactions est tourné vers le policier qui « va avoir des problèmes ». C’est un gentil lui.

« S’il n’avait rien à se reprocher, il se serait arrêté. »

Un commentaire Facebook sous un article rapportant la mort d’un jeune homme après un refus d’obtempérer

En ignorant les travaux des sciences sociales sur l’institution policière, les journalistes et éditorialistes de la presse dominante ne font que proposer leur propre rapport à l’actualité, rapport dont on sait qu’il est ancré dans une sociologie bourgeoise. Or, les représentations bourgeoises de la société postulent l’existence d’un ordre économique vertueux, ordre qui garantirait la possibilité à tous de vivre sans violence et de s’épanouir, c’est à dire « faire des affaires » dans le langage de la classe dominante. Cet état des choses serait sans cesse attaqué par des « nuisibles » de plus en plus nombreux, et défendu par les seuls remparts à la « sauvagerie », les bien nommées « forces de l’ordre ». Cette vision marvelisante de la société, possède l’avantage d’être simple. La réalité, elle, ne l’est que très rarement.

Violence et institutions

Dès le début du XIXe siècle, nombreux sont ceux qui ont compris que police et justice agissent sur les conséquences d’un monde ségrégué politiquement et économiquement. Aucun effort de durcissement de la répression et des peines ne saurait faire diminuer la violence. Cette dernière est déterminée par des institutions sociales qui la génèrent, et d’autres qui la canalisent. Les discussions politiques ont alors laissé entrevoir la nécessité de la massification de l’instruction publique, de la redistribution des richesses, ou de l’accès à un emploi pour tous. Il est impossible d’avoir un contrôle absolu sur ce qui participe à créer la violence, mais il est absurde de ne pas agir sur les cadres institutionnels qui l’entretiennent. Il suffit d’observer les différences entre les États-Unis et l’Europe occidentale pour s’en rendre compte. Organiser la répression, construire des prisons, c’est donner l’illusion d’agir tout en créant de juteux profits, comme le montre l’exemple des prisons américaines ou chinoises.

La recherche de l’égalité, égalité face à la justice, égalité des conditions ou égalité des positions, comme moyen de baisser le niveau de violence d’une société n’est, aujourd’hui, pas très à la mode, dans un monde où l’on est plutôt encouragé à arborer fièrement ses avantages et à en profiter. Les discours de feu et de sang ont de beaux jours devant eux. Pour le capitalisme, ils sont avant tout sources de profits. Quel merveilleux secteur que celui de la sécurité avec ses murs, ses portails, ses portes blindées et armements en tout genre. Ils sont aussi un bon moyen de diversion, car ce qui crée la violence, c’est aussi ce qui oppresse, ce qui domine, ce qui humilie, et plus généralement tout ce qui permet à une classe possédante de vivre du travail de ceux qui ne possèdent pas.