Rendez-vous en terres punk

Tee-shirt trempé de sueur, mais peut-être pas la mienne. C’est ça le rock.

Cet été, je suis resté sur Strasbourg. Pourquoi ne pas rentrer en terre natale, la plus belle région du monde, la Normandie ? 

Eh bien, par opportunité professionnelle dira-t-on. Un job d’été oui, mais pas question de retourner me casser le dos aux marées pour toucher une misère. 

Alors je reste.

Je trouve un taf dans un hôtel. 20 heures semaine, 2 jours au travail, 5 jours au bar. Beaucoup de temps à tuer.

Lorsqu’un ami me propose de sortir un soir pour aller voir un concert punk, je signe, évidemment. Le nom de la soirée : Souviens-toi l’été dernier, deuxième édition. Petite réf cinématographique, j’aime bien.

Mais cette soirée dépassera le simple cadre d’un concert institutionnel. 

Des concerts, j’en ai fait. À Strasbourg ? Plein. On remercie la région qui permet aux étudiants fauchés de profiter de musiques en live pour 6 balles.

Bref. Revenons à cette fameuse soirée. J’arrive à l’adresse donnée par mon pote. Des punks, des chiens. Jusque là, rien d’anormal. Tarif libre, grand prince, je lâche ma meilleure pièce de deux euros. CDI oui, mais toujours étudiant. Faut bien se payer ses cuites non ? 

Déjà de l’extérieur, j’entends le premier groupe commencer son numéro. Je rentre dans la salle. Style vieillot, manifestement une ancienne grange. Ça sent déjà la sueur, ça pue la clope, mais ça fait son charme. Placardée sur le mur, une bâche « La contre-culture est un contre-pouvoir ». Le ton est donné.

Progressivement, la salle se remplit. En fait, je m’étais bien planté en arrivant. Tous les profils sont réunis. Des punks, des vieux, chemisette chaussures croco, sarouel écarteurs d’oreilles, des mecs bourrés, quatre étudiants en politique.  Et on se sent bien entouré. Pas de jugement.

Un mec lance un pogo. Ça pousse, oui, ça se bouscule, pour sûr, mais toujours avec bienveillance.

Manet is dead, not the rock. Le chanteur espagnol, Manet, 1860

Voici le deuxième groupe. Un groupe italien. On comprend rien aux paroles, mais ça doit parler d’injustice. Le punk c’est cool mais faut pas pousser dans l’originalité non plus, hein. 

Évidemment, le traditionnel Siamo Tutti Antifascisti est lancé par la foule. Repris par le groupe. Ça fait chaud au cœur. Mais c’est déjà une sacrée fournaise ici. Allez, pause bière. On sort de la salle, on se pose, on débriefe. On passe tous un bon moment. 

De loin j’aperçois le batteur, le guitariste, le chanteur qui sortent de la petite pièce. J’aime bien taper la discute avec les musiciens. Déformation (que j’aimerais) professionnelle. Alors, comme à mon habitude, je vais les remercier pour leur travail. Ils s’installent à leur stand de merch, je vais leur parler. 

Il Complesso, c’est le nom du groupe. Ces gars-là enchaînent des dates en France, en Allemagne et en Angleterre. 

Avec le batteur : 

— Bravo les gars, c’était super cool ! Énergie incroyable. Vous êtes de vrais showmans.
— Merci mec, ça fait plaisir. Tu sais, moi je suis pas dans le groupe depuis longtemps. Je remplace le premier batteur, un ami à moi, qui s’est suicidé il y a quelques temps. Alors, à chaque fois qu’on monte sur scène, on essaie de lui rendre hommage.

Putain. C’est beau. C’est triste, mais c’est beau. Il me donne une dizaine de flyers, me remercie d’être venu et je retourne voir mes potes. 

Pour une soirée prévue au dernier moment, j’ai pris une sacrée claque dans la gueule. C’est déjà l’heure du dernier groupe. 

Plus beaucoup de souvenirs. Vision trouble, alcool dans le sang (faut dire que les pintes étaient vraiment pas chères), j’ai le vague souvenir de me jeter dans le pogo avec fougue. Tee-shirt trempé de sueur, mais peut-être pas la mienne. C’est ça le rock.

Avant de partir, une femme nous demande un feu. Elle veut notre avis sur la soirée. C’est l’une des organisatrices de ce joyeux bazar. 

— Franchement, grave cool. Vous faites souvent des soirées comme ça ?
— À la base, on a créé cette asso pour aider les gens dans la rue. C’est plus facile quand t’es une asso. Certains membres dorment toujours dehors.
Mais maintenant, on fait des soirées comme ça. Ça permet de rencontrer du monde, de leur montrer qu’on peut passer un bon moment tous ensemble. Et puis, faut dire que ça permet de ramener des sous pour continuer à proposer encore plus d’événements.

Minuit et des brouettes, fin de soirée. Allez, au dodo. Faut dire que demain y a boulot. Avant de partir hop, une petite pièce à l’accueil. Je reviendrai.

A l’heure où j’écris ce texte, on est au lendemain de la victoire écrasante de Giorgia Meloni en Italie. « Siamo Tutti Antifascisti ». « Siamo Tutti Antifascisti ». Cette phrase résonne dans ma tête et prend tout son sens.

Tout est politique,

Tout est politique.