Se rendre au cinéma pour aller voir Avatar 2, La voie de l’eau, c’est un peu comme se taper un documentaire de Yann Arthus-Bertrand avec la bande son d’une émission de CNews. Curieuses, apparaissent donc les critiques qui souhaitent donner une portée politique au film de James Cameron. On aurait là un blockbuster écologiste, humaniste, voire anticapitaliste. Jouons le jeu et interrogeons ce qu’il nous montre vraiment.
Un océan d’idées confuses
« Que d’eau, que d’eau ! » aurait probablement dit Mac Mahon devant Avatar 2. « Et encore, Monsieur le Président, vous n’en voyez que le dessus » lui aurait-on répondu. Et il est vrai que James Cameron s’aventure assez peu dans l’exploration du monde social. Il s’en tient à des apparences, à des surfaces, à des approximations. Dans la jungle de Pandora, vous ne trouverez pas trace de la complexité du monde. Ce qui règne en maître, c’est bien l’imprécision et le flou permanent. Des choses à révéler, il y en aurait pourtant. Les logiques de l’extraction des ressources minières, de la chasse à la baleine ou du peuplement pour évacuer la Terre, tout cela prend approximativement cinq minutes du film. Il est dit que des grands patrons pilotent. Il est dit que les humains ont détruit la Terre et souhaitent s’installer ailleurs. Il est dit aussi qu’une substance dans la cervelle du tulkun rapporte des millions de dollars. Fin des explications.
Aucune contradiction n’est mise en avant. Les seuls représentants de l’humanité sont des militaires bourrins, ce qui est assez curieux si les humains souhaitent faire de la planète un nouvel habitat. La tension qui devrait exister entre volonté d’habiter Pandora et envie d’en extraire totalement les ressources est totalement absente. Elle pourrait pourtant être incarnée, à condition d’une plus grande diversité de visages humains. La logique du profit à court-terme, contradictoire avec la longueur des voyages vers la Terre ou les relations concrètes entre Terre et Pandora ne sont pas non plus des éléments qui intéressent Cameron. La complexité est écartée, et la politique avec elle. Le réel n’est définitivement pas l’objet du film. Si le réalisateur a une idée politique, elle se perd totalement dans la confusion des idées abstraites.
Particulièrement confuse est l’apparition de l’opposition entre pacifisme et usage de la violence. Ainsi, il nous est révélé que les tulkuns ont érigé la non-violence en philosophie de vie, à laquelle il ne s’agirait pas de transgresser. Or, de quelle manière subtile Cameron nous révèle les contradictions du pacifisme ? Une horde d’excités du fusil avec des harpons explosifs et bateau de la taille d’un porte-avions s’en va à la chasse aux tulkuns. On ne s’étonnera donc pas que le temps des raisonnements philosophiques soit assez court et qu’en une fraction de seconde nos héros se retrouvent sur le dos de leurs gros poissons zigouilleurs, arcs et flèches en mains, prêts à empaler du vilain ricain.
Une écologie réactionnaire
Avatar 2 ne montre rien d’autre qu’un monde imaginaire attaqué par des extra-terrestres (extra-pandoriens) sanguinaires. Il ne révèle rien d’autre que les fantasmes de son réalisateur, fantasmes qui sont aussi ceux d’une fraction réactionnaire des sociétés contemporaines. Le monde idéal selon Cameron est constitué d’un mélange de croyances sur la vie en tribu primitive et selon des valeurs qui seraient universelles. A l’écran, cela donne un triste spectacle et, lunettes 3D sur le museau, il est difficile de ne pas boire la tasse. L’harmonie entre les membres des tribus est parfaite. Pas de conflit. Chacun est à sa place. Le chef n’est pas contesté. Il n’y en a qu’un. C’est un homme. Sa femme est une guerrière respectée. Elle est douce avec ses enfants. Elle s’inquiète. Elle pleure. Le père la rassure. Le couple vit harmonieusement. Autant vous dire qu’au bout du troisième « un père doit protéger sa famille », prononcé par le narrateur Jake Sully, il nous vient une furieuse envie de massacrer tous les hommes, bleus ou blancs, et de retourner chez nous manger un bon poisson pêché en haute mer.
Cette vision fantasmée de la vie en tribu et en harmonie avec quelque-chose qu’on appellerait « nature » n’est rien d’autre qu’une vision de colon occidental. La nature n’existe que lorsqu’on la voit comme une ressource. C’est une idée abstraite qui, dans son acception trop générale, n’a aucun sens. Dans Avatar, Cameron construit la nature comme un tout. Elle se défend toute seule et pense. Humanoïdes bleus et animaux se relient entre eux par une sorte de cordon. Quelle drôle d’idée pour montrer les relations entre êtres vivants dans un écosystème. Là encore, le film déçoit par sa simplicité enfantine. Il n’y a pas d’écosystèmes dans Avatar. Les espèces animales se comptent sur les doigts de la main. Aucune tentative de représenter une chaîne alimentaire, aucun insecte, aucune vie. Personne ne broute, personne n’a des besoins, personne ne baise. L’amour apparaît comme totalement dénué de désir. Il n’y a pas d’art. Aucune colère ne dure plus d’une minute. Le naturel remplace le social. Il n’y a pas de social, puisqu’il existe une harmonie naturelle. Les coutumes d’une société sont d’ailleurs explicitement associées au milieu naturel. Elles sont rigides. Elles ne changent pas. Pour s’intégrer, un nouvel arrivant doit s’adapter, on lui demande un effort d’assimilation. Quel merveilleux monde que Cameron nous dessine-là. On serait presque tenté d’aller conduire nous-même les bulldozers.
Sauver les baleines. C’est peut-être le seul message clair qu’il soit possible de tirer de ce film. Visionnaire Cameron. Personne n’avait osé avant lui. Mais son amour sincère pour l’océan, quant à lui, nous donne deux heures de plongée magnifiques sur lesquels nous pouvons nous réjouir. Pourquoi, alors, vouloir marquer ce film d’une empreinte politique qu’il n’est pas en mesure d’assumer ?