Le travailleur, qu’il soit salarié ou auto-entrepreneur comme il est de mode, se voit sans arrêt rappeler son impuissance. Il est impuissant face à la fermeture du bureau de poste du coin et des services publics de proximité. Impuissant face à l’administration, ses formulaires interminables, sa digitalisation forcée, son indisponibilité croissante. Impuissant, encore, face à l’inflation et aux soubresauts de l’économie de marché. Impuissant face aux chiffres, ses dettes, celles de l’entreprise, les déficits annoncés, le fameux plan de sauvegarde de l’emploi qui lui fera prendre la porte. Impuissant face au langage du patron, ou plutôt celui de son manager. Impuissant, enfin, face au gigantisme de la division du travail. S’il s’arrête seul, la société continuera de fonctionner sans lui. Condamné à tenir sa place, à rester dans le rang quelle que soit la claque qu’il subit, à subir sans rien dire la dégradation de ses conditions d’existence, le travailleur peut-il être conscient de sa puissance ?
Pour désigner à la fois l’infirmier, l’aide à domicile, l’agricultrice, l’ouvrière, le boulanger, l’étudiant, le livreur Uber, il n’y a pas de meilleur terme que celui de travailleur ou de travailleuse. Ce sont les essentiels, hypocritement adorés mais méprisés dans les faits. Ce sont ceux qui créent toute la valeur, et qui n’en conservent qu’une petite partie, souvent pas assez pour vivre. Leur intérêt commun est clair. Il n’attend qu’à s’exprimer.
On parle parfois des syndicats comme un contre-pouvoir. Un contre-pouvoir, c’est une puissance qui s’exerce contre l’État ou ceux qui en ont le contrôle. On sait assez bien maintenant que les syndicats n’arrêtent plus l’État. Les manifestations ne stoppent pas une réforme. Les organisations qui acceptent la discussion avec le gouvernement ne lui servent que de moyen de légitimation. Contre-pouvoir, le Parlement ne l’est pas non plus. Il met en scène une démocratie qui n’en a que le nom. Pour qu’un contre-pouvoir existe, il faut que sa puissance s’exprime. Il faut que le pouvoir le sente, qu’il aperçoive en face de lui une force, non pas équivalente, mais suffisamment importante pour envisager un recul. Pour que l’Assemblée Nationale existe comme contre-pouvoir, par exemple, il faudrait qu’une motion de censure soit adoptée. Peu importe qu’elle soit déposée ou votée par les députés les plus odieux qui soient. Si l’Assemblée a du pouvoir, qu’elle nous le montre maintenant ou se taise à jamais. Mais là n’est pas notre sujet. Ne tergiversons pas sur ce que l’on ne maîtrise pas. De la même manière, pour que le pouvoir syndical existe, encore faut-il qu’il ose s’exprimer pleinement, dans toute sa puissance. Le 7 mars en est l’occasion.
On a eu la chance, récemment, de pouvoir assez bien se figurer à quoi peut ressembler la puissance des travailleurs. Les gilets jaunes nous en ont dressé un bel aperçu. Les milliardaires étaient inquiets, Macron a eu peur. Nous serions bien inspiré de leur faire revivre cela puissance mille, et nous verrons ce qu’il advient alors. Il faut donc bloquer, couper le robinet de ceux qui possèdent, investir les lieux qui nous sont interdits, s’équiper pour se préserver d’une police dangereuse, mais aussi parler politique, réfléchir à ce qu’on veut être, à ce que qu’on souhaite faire, s’informer sur l’histoire, sur les luttes du passé, lire des programmes révolutionnaires.
Le temps que nous ne donnons pas à la production de richesses, c’est-à-dire à la construction des bénéfices et des dividendes des exploiteurs, est un bien précieux. Notre combat primordial est d’augmenter ce temps. Les retraites, le temps de travail journalier ou hebdomadaire, les congés payés, tout cela doit évoluer en faveur du travailleur. C’est l’histoire de la lutte entre le travail et le capital. Le travail paie très peu aujourd’hui en France, le capital beaucoup trop. Un ajustement s’impose.