Macron : L’ultime affront

Nous y sommes. Le projet de loi portant l’âge de départ en retraite à 64 ans est arrivé ce jeudi au terme du parcours législatif. Il symbolisera (retrait ou non) le dernier coup de force d’un président mal élu, sans enthousiasme et surtout sans mandat, la dernière exaction d’un gouvernement sans majorité, contre les égoutiers,…

Une crise de régime

Ce projet porte à son apogée la crise démocratique que traverse notre République. À une majorité populaire, Emmanuel Macron pouvait répondre jusqu’à récemment par une majorité parlementaire, laquelle était prétendument représentative du peuple français. Désormais, privé de majorité à l’Assemblée Nationale, le Président de la République est contraint de se retrancher dans tous les mécanismes ubuesques et antidémocratiques de la Ve République, pour faire adopter sa contre-réforme, contre la volonté de tous. Majorité populaire, majorité sociale, majorité parlementaire. 47.1 pour contraindre les temps de débat, 44.2, 42.9 pour limiter le droit d’amendement, 44.3 pour empêcher le vote article par article, et enfin 49.3 pour passer en force à l’Assemblée. Jamais un gouvernement n’avait autant méprisé les institutions parlementaires. Comme l’a expliqué Olivier Faure, paraphrasant François Mitterrand, nous assistons à un énième usage du Coup d’État permanent. Celui-là est orchestré par un Président minoritaire, contre l’avis majoritaire du peuple français.

Cette fois-ci, la Première Ministre a non seulement engagé la responsabilité de son gouvernement face à l’Assemblée Nationale. Mais elle l’a engagé, en réalité, face au pays tout entier. Si les parlementaires ne votent pas la censure lundi, le peuple, lui, l’a déjà adopté dans les faits. Ce gouvernement est désormais parfaitement, totalement, absolument illégitime. Il doit « se soumettre ou se démettre ». S’il ne démissionne pas de lui-même et si les députés ne le font pas
tomber (par peur d’un revers électoral), alors le peuple pourrait bien s’en charger de lui-même.


La grande confiscation

Cette fois-ci, la supercherie éclate au grand jour. Les grand éditocrates ont beau bêler en cadence que « les institutions c’est la démocratie » ou, pour les plus audacieux, que « le 49.3 c’est la démocratie », tout le monde prend conscience de la confiscation totale, sans doute originelle du pouvoir souverain du peuple par les institutions de la Ve et plus encore par le système économique qui nous est imposé. Confiscation lorsqu’une large majorité de français, 70 %, s’opposent à la réforme, confiscation lorsque les premiers concernés, travailleuses et travailleurs s’y opposent à 93 %1, confiscation lorsque 3 millions de personnes défilent dans la rue pour dire NON à la retraite à 64 ans. Plus encore, confiscation lorsque 10 millions de personnes (15 % de la population) sont condamnées à la pauvreté, confiscation lorsque 7 millions de personnes sont à l’aide alimentaire, confiscation lorsque 4 millions de personnes sont mal-logées. Confiscation, confiscation, confiscation, lorsque l’on voit les richesses accumulées d’un côté de la chaîne, et jamais partagées. Non, définitivement, l’intérêt général ne gouverne pas, la volonté du peuple, quelle que soit la définition qu’on puisse lui donner, n’est pas aux commandes. Les intérêts financiers profitent allègrement du jeu vicié de la pseudo-démocratie électorale.

Sortir par le haut ?

En toute hypothèse, le Président de la République a été « battu et défait » aux dernières élections législatives. Emmanuel Macron l’a dit lui-même. C’est « son autorité » qui est mise en jeu par cette réforme des retraites. Son échec est total, quelque soit l’issue du vote de lundi. La mobilisation populaire dans tous les secteurs a remporté l’adhésion indiscutable de tous le pays. Si Emmanuel Macron veut se sortir indemne de ce moment historique, quelle solution a-t-il ? L’option « gilets-jaunes », c’est à dire, l’affirmation de l’autorité absolue du régime politique par mobilisation massive de la police, ou l’option retrait de la réforme. La première ne garantit aucun retour au calme, bien au contraire. Pour résoudre la crise sociale, il faudrait entreprendre un projet politique beaucoup plus ambitieux. La convocation d’une assemblée constituante qui aurait la charge d’inventer de nouvelles institutions, plus démocratiques et repousser, par là-même, les ingérences capitalistes dans la conduite de son destin. Une VIe république doit remplacer cette Ve à bout de souffle. Nous savons déjà qu’Emmanuel Macron ne soumettra pareille idée. C’est donc au peuple de prendre son destin en main. Par le vote… ou par la rue.

(Re)conquérir le pouvoir

Si les institutions parlementaires ne permettent plus aux français d’exprimer leur volonté, si les manifestations pacifiques organisées par les syndicats de travailleurs, pivots de la légitimité de ce régime, ne suffisent plus à faire reculer un pouvoir solitaire, alors le peuple s’exprime tel qu’il est, à l’état brut. C’est ce que l’on a vu dès jeudi soir, lorsque de nombreuses manifestations spontanées ont immédiatement contesté l’ultime affront du Président de la République. A Paris c’est Place de la Concorde (ancienne Place de la Révolution en 1792) que les
manifestants ont pris place, en face de l’Assemblée et à quelques pas de l’Élysée. En substance, les manifestants sont venus proclamer leur souveraineté, celle là même qu’on leur a confisqué depuis si longtemps, et dont ce 100ème 49.3 en est le symbole. Ils sont venus rappeler au monarque présidentiel que son monde est largement rejeté, qu’il est à cette heure en sursis, élu par défaut face au pire, mais sans mandat aucun. Personne ne peut dire comment se soldera cette séquence. Pour l’heure, les travailleuses et travailleurs sont déterminés et le Président assiégé. Les exactions policières contre les manifestants, marque de fabrique du macronisme désavoué, sauveront-elles le palais encore longtemps ?

Comme une ironie du sort, Stéphane Bern présentait hier soir sur France 2 un documentaire sur la fuite du Roi Louis XVI à Varennes….. Et c’est sur la Place de la Concorde que fut guillotiné ce dernier. « Se soumettre ou se démettre », pour Emmanuel Macron, il est plus qu’urgent d’y penser…

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Article 35, Constitution du 24 juin 1793

Vincent Fromont

  1. « Réforme des retraites : seuls 7% des actifs favorables à une augmentation de l’âge légal de départ », Le Parisien, janvier 2023 []