On dit que c’est impossible. On le fait sans arrêt. Nous adorons nous plonger dans l’avenir, proche ou lointain, comme pour tenter de comprendre le sort qui nous est réservé. Le futur est omniprésent dans nos vies. Nos projections sur l’avenir ont un impact politique sur notre présent. Qu’elles proviennent d’œuvres de fictions, d’un imaginaire religieux ou d’un projet politique, elles influencent notre façon de voir le monde et d’évoluer en son sein. Elles nous rendent tantôt optimistes, tantôt pessimistes. Elles peuvent susciter la peur ou l’excitation. Mais le futur, tel qu’on l’imagine, ne reflète jamais rien d’autre que les différentes facettes de notre présent.
La dystopie, le présent en pire
La popularité du genre dystopique dans la fiction est indéniable. Il peut être vu comme l’expression d’un pessimisme ambiant, ou bien comme un moyen d’alerter sur la trajectoire inquiétante du monde contemporain. Chaque société et chaque époque imagine ses futurs dystopiques. Pendant toute la période de la guerre froide, les films qui prédisent une apocalypse nucléaire sont légion. On peut aisément le comprendre. Deux éléments qui structurent la société d’aujourd’hui se sont trouvés particulièrement exploités dans les dystopies. L’accumulation du capital et le centralisme étatique.
Les futurs sécuritaires sont le reflet de la toute puissance des États et des gouvernants. Ils sont héritiers du 1984 de Gorge Orwell. Les avancées technologiques apparaissent très souvent sur le devant de la scène, comme étant au service de la domination des plus forts et du contrôle des masses. Les technologies sont questionnées autant que les pratiques de gouvernement en tant que telles. Plaçons ici Fahrenheit 451, Blade Runner, Terminator, Minority Report, ou encore la série Black Mirror qui, comme son nom l’indique, n’est qu’un miroir légèrement assombri de la société que nous connaissons. On pourrait en citer des dizaines d’autres, tant ce genre apparaît dominant dans le cinéma actuel.
Dans certains futurs, ce sont les ultrariches, les méga-giga riches, qui sont devenus des sortes de toutes puissances intouchables et imposent leurs lois. Dans la récente série Black Knight, la péninsule de Corée désertifiée par une catastrophe climatique est dominée par un puissant conglomérat au-dessus du gouvernement. L’entreprise gère le logement, le transport, le travail. Elle maintient un monde d’inégalités et de privilèges dans lequel le changement et la discussion politique n’ont pas leur place. En mettant en scène ce futur imaginaire, cette série coréenne ne fait que nous parler du monde d’aujourd’hui.
Quand rien n’a changé et qu’on a conquis les étoiles
Nous ne savons pas si ce sont des gens comme nous qui pratiqueront un jour le voyage interstellaire. Curieusement, nous ne les imaginons que très rarement autrement.
Dans la série The Expanse, l’humanité a conquis l’ensemble du système solaire. Mars et la Terre se livrent une guerre froide. Des milliers de travailleurs sont exploités sur des astéroïdes. Les ressources sont rares et inégalement réparties. L’argent, le gouvernement, la police, le journal télévisé, le bar pour boire un coup, le nightclub, le patron, tout est là. Nothing has changed. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas beaucoup dépaysés.
The Expanse n’est pas un exemple isolé. Beaucoup d’œuvres de fictions ont tendances à se concentrer sur les innovations technologiques et scientifiques que pourrait nous apporter le futur, en oubliant que les innovations sociales, organisationnelles, politiques accompagnent ces transformations et en sont parfois les produits ou les facteurs. Rappelons simplement qu’au XIXe siècle, l’apparition du mode de production industriel a changé considérablement les rapports entre les êtres humains, ainsi que notre conception du temps.
L’utopie ou la voie difficile
Les futurs utopiques, si l’on entend par « utopie » un monde idéal, sont beaucoup plus rares dans la fiction contemporaine. Il est sans doute plus facile d’imaginer un scénario, une histoire et son ou ses héros, dans un monde injuste qu’il faudrait réparer. Mettre en scène une société qui serait profondément meilleure que la nôtre est un défi beaucoup plus dur. C’est peut-être ce que le cinéaste James Cameron cherche à faire en décrivant les habitants de la planète Pandora dans Avatar. Malheureusement, son utopie reprend le mythe d’une société sauvage dont l’ordre naturel, préservé depuis toujours, serait nécessairement juste et bon. Nous en avons déjà fait la critique dans un article1. Cameron fait en réalité une apologie du passé, ce qui n’a rien à voir avec l’utopie.
La série Star Trek, évidemment, pourrait être l’exemple par excellence du futur utopique. Dans ce futur-là, l’humanité a réglé tous ses problèmes sur Terre : la maladie, l’injustice, le racisme, la pauvreté, l’intolérance et la guerre. L’argent n’existe plus. Le travail n’est plus nécessaire. Rien que ça. L’humanité a développé des liens pacifiques avec diverses communautés extraterrestres, avec qui elle a fondé la « Fédération des planètes Unies ». Gene Roddenburry avait une démarche politique, au sens où il a construit sa série contre son monde. C’est ce qui fait toute la différence. Au cœur des années 1960, il donne l’un des rôles principaux à l’actrice noire Nichelle Nichols, contre l’avis de la Paramount, qui avait aussi refusé que le commandant en second soit joué par une femme. Irréaliste. Roddenburry fait intervenir un personnage d’origine russe en pleine guerre froide et construit un équipage qu’on pourrait qualifier de multiethnique ou multiculturel. On pourrait tout-de-même faire certains reproches à Star Trek. Tous les soucis de l’humanité sont réglés sans que l’on sache vraiment comment. Pourquoi pas. Mais le sujet de la série n’est pas du tout le fonctionnement de ce nouveau monde dont on serait pourtant curieux de découvrir les rouages. La série se concentre sur les relations de cette société à l’extérieur. Elle explore, mais elle ne s’explore que très peu.
Le moins que l’on puisse dire est que l’époque contemporaine est très peu marquée par l’utopie. Notre plus grande facilité à imaginer le pire est sans doute la marque d’une société qui s’apparente à une machine à fabriquer du pessimisme. On n’ose plus rêver d’un monde meilleur, on ne croît plus que les choses changent. On stigmatise les programmes politiques audacieux. On s’abandonne dans un monde qui n’invente plus, prisonnier de ses propres structures économiques, sociales, politiques. En 2100, nous aurons l’iphone 90, les new-yorkais paieront cher les masques et tubas, les étoiles resteront bien loin au-dessus de nous.
- https://anakalypto.fr/2022/12/24/avatar-2-ou-les-abysses-de-la-politique/ [↩]